Une cinquantaine d’observateurs internationaux étaient présents à ces élections qui ont confirmé la volonté massive des habitants de soutenir l’État de Novorossia. Parmi eux, plusieurs observateurs venus de France, dont Fabrice Beaur, observateur d’EODE (Eurasian Observatory for Democracy & Elections).
Notre entretien portera donc avec lui sur le déroulement de ces élections et sur le choix exprimé massivement par les habitants.
Mikhail Gamandiy-Egorov, La Voix de la Russie : Fabrice Beaur bonjour ! Vous avez dirigé une mission d’observation internationale lors de ces élections législatives et présidentielles à Novorossia auxquelles vous avez personnellement pris part. Racontez-nous !
Fabrice Beaur : Une fois de plus les organismes de monitoring occidentaux ont refusé d’envoyer une mission d’observation pour les élections présidentielles et législatives en DNR (Donetsk) et LNR (Lougansk), les deux républiques de Novorossia. Façon inélégante mais efficace de saboter ces élections en leur enlevant toute légitimité et en faisant peser le doute sur la transparence des opérations électorales.
Situation classique, déjà rencontrée en Pridnestrovié (la PMR, la soi-disant « Transnistrie » des médias roumains et de l’OTAN) – où en 2006, pour le Référendum d’autodétermination, EODE a organisé sa première mission, en Abkhazie, en Ossétie du Sud, au Nagorny-Karabakh. Tous théâtres où EODE est intervenue. Sans oublier le Référendum d’autodétermination de la Crimée et de Sébastopol, où EODE a organisé en mars dernier la Mission internationale de monitoring, avec ses 135 observateurs, et a donné une grande claque à l’OSCE…
Déjà la presse occidentale annonçait des élections illégitimes, avançant le critère, essentiel selon les standards de l’OSCE, de l’absence d’une mission de monitoring internationale.
Hélas pour cette manœuvre honteuse, les Occidentaux n’ont pas le monopole de l’observation électorale internationale.
Il existe des organisations indépendantes, non-alignées sur les institutions occidentales et atlantistes, comme notre ONG EODE. Les deux Commissions électorales centrales de DNR et LNR leur ont donc lancé au dernier moment des invitations pour organiser une mission d’observation. EODE, qui est une ONG transnationale, et ses partenaires polonais et allemands, y ont répondu favorablement. Sur place une seule mission a été constituée, avec 55 observateurs, venus de l’UE, de la CEI et même des USA, répartis en deux groupes, l’un pour Donetsk, l’autre pour Lougansk. Le tout dans le respect mutuel des appartenances de chacun, les observateurs allant des partis populistes de droite à la gauche nationale, en passant par quelques représentants de partis plus traditionnels.
J’ai pour ma part accompagné le groupe allant à Donetsk. Où j’ai pu rencontrer des représentants du gouvernement dès mon arrivée le samedi 1er novembre, notamment le Premier ministre, Alexandre Zakhartchenko, élu président dimanche, et le ministre de la Défense de la République populaire de Donetsk.
LVdlR : Dans quelles conditions se déroulait cette mission ?
Fabrice Beaur : Dans des conditions non habituelles ! J’ai déjà fait depuis 2006 diverses missions d’observation électorale, dont une à Kiev lors des dernières législatives d’octobre 2012, avant le coup d’État du 21 février dernier, mais jamais sous cette forme. Le samedi 1er novembre au matin des combats avaient encore lieu à l’aéroport de Donetsk et les provocations étaient également nombreuses sur plusieurs points du front. Nos déplacements étaient toujours sous escorte militaire. Nous devions constamment vérifier que la route était dégagée lorsque nous nous déplacions de villes en villages pour nos visites des bureaux de vote. La tension était palpable aux postes de contrôle, les fameux « Blo сk Post ».
Et je tiens ici à remercier une fois encore le professionnalisme de l’armée de la République populaire de Donetsk, qui a parfaitement dans des conditions difficiles permis le bon déroulement de cette mission.
LVdlR : Le taux de participation était impressionnant tenant compte de l’actualité. Donetsk et d’autres localités continuaient d’être bombardées par les forces ukrainiennes aux ordres de Kiev. Plusieurs messages de menaces avaient été d’ailleurs envoyés aux habitants qui « oseraient » aller prendre part au vote. Pourtant, on a vu de longues files d’attente dans les bureaux de vote et beaucoup de personnes ont même fait le déplacement des villes occupées par les bataillons punitifs kiéviens. Qu’est-ce que cela vous a inspiré ?
Fabrice Beaur : Les menaces de répression de la part de la Junte de Kiev étaient effectivement à prendre au sérieux. Car lorsqu’on sait que les premiers combats pour la « libération des territoires de l’Est occupés par les terroristes » (sic) selon la terminologie officielle de Kiev signifiaient et signifient encore bombardement des zones civiles. Enlèvement contre rançon, viols et assassinats des gens soupçonnés d’aider les milices populaires d’alors, on ne peut être qu’admiratif du courage de toutes ces babouchka et dedouchka, de toutes ces familles et ces jeunes, du peuple travailleur du Donbass qui dans les températures de l’hiver naissant sont allés voter avec détermination.
Le peuple a prouvé par cette mobilisation massive extraordinaire dans ces conditions de guerre son soutien entier aux dirigeants des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk. L’appel au peuple depuis le début du processus de révolte contre le pouvoir bandériste et oligarchique de Kiev est à relever. Nous avons bien dès le premier jour de la révolte populaire, une forme de démocratie directe en œuvre. Nous sommes bien loin du parlementarisme et de ses petites combines. En DNR et en LNR, en territoire de Novorossia libéré, c’est bien le peuple qui vote, le peuple qui souffre et qui se bat contre Kiev et ses bataillons punitifs qui n’infligent que souffrance et destruction sur leur passage.
Et si nous devions faire une comparaison avec les pays de l’Union européenne, celle-ci ne serait pas flatteuse pour cette dernière. Dans cette Europe atlantiste, cette Europe américaine, l’abstention électorale est aujourd’hui massive. Le peuple déserte de plus en plus les institutions et rejette le système.
Dans le Donbass, sous les bombes, dans les multiples difficultés du quotidien, j’ai vu un peuple qui se lève encore et encore avec le même message de refus de la dictature kiévienne et des criminels bandéristes qui sèment destruction et mort au nom d’une Ukraine pure idéalisée qui n’a jamais existé que dans les fantasmes des nationalistes de Svoboda et autres extrémistes pro-occidentaux.
C’est un flagrant démenti aux mensonges des media de l’OTAN qui affirmaient du « peu d’intérêt de la population pour ces élections » (resic). Ce fut tout le contraire et même une surprise de par son ampleur pour les autorités des républiques populaires et pour tous les observateurs internationaux.
LVdlR : Globalement, en tant qu’observateur international, avez-vous été satisfait du déroulement de ces élections, ainsi que vos collègues ? On sait qu’il y a également eu des observateurs venus des USA et qui étaient impressionnés par la participation massive des habitants à ces élections.
Fabrice Beaur : Ces élections se sont tenues conformément à la législation des républiques populaires. Et le déroulement de celles-ci respecte les standards occidentaux et le cahier de charge classique de l’OSCE. Et il est honteux que l’OSCE, le parlement européen ou l’APCE ne se soient pas rendus sur place pour participer au monitoring électoral. Le président de la Commission électorale centrale de la DNR me disait pourtant qu’ils auraient « accepté de recevoir une telle délégation ». Honteux disais-je du fait que ces mêmes organisations ont participé aux élections bidons de Kiev une semaine auparavant.
Notre collègue américain, Frank Abernathy, Attorney US honoraire et observateur à Lougansk, déclarait en effet : « Je crois que les élections ont suivi les normes internationales des élections démocratiques. Je suis très impressionné par l’enthousiasme et la vigueur avec laquelle les gens se sont rendus aux urnes pour exprimer leur opinion ». Je partage bien entendu ses observations…
LVdlR : Les pays occidentaux, ou plutôt leurs oligarchies politiques, ont d’ores et déjà déclaré qu’ils ne reconnaîtraient pas la légitimité de ce scrutin. De même du côté du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon. Pourquoi selon vous ce refus de reconnaître la volonté démocratique d’une population martyrisée et pourquoi encore et toujours cette constance du deux poids deux mesures ?
Fabrice BEAUR : L’Occident est le royaume du double langage. Les élections dans les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk sont un défi à l’ordre occidental.
Nous avons à faire face à un refus du choix démocratique des peuples. Cela est caractéristique. Regardez le refus de l’idée même du référendum dans l’Union européenne : en Catalogne, à Venise et ailleurs … Rappelez-vous des résultats des référendums sur « la Constitution de l’UE » en Irlande, en France et aux Pays-Bas. Les peuples avaient dit Non à l’Europe atlantiste anti-démocratique. Le parlementarisme occidental avait alors passé outre à la volonté populaire clairement exprimée. Depuis, l’Occident a peur des élections plébiscitaires comme celles que nous venons de voir à Donetsk et Lougansk. Les Occidentaux refusent de reconnaître toutes les élections qui ne sont pas contrôlées par eux et dont les résultats ne suivent pas leurs directives.
Et dans la situation qui nous importe à l’heure actuelle, nous avons une belle démonstration du théâtre démocratique de ces organisations internationales et de ces pays, qui se pavanent revêtus du manteau des droits de l’homme à géométrie variable.
Selon l’ordre occidental, donc américain, il existe des peuples qui ont le droit de voter et d’autres non. Le droit de vote étant compris comme le fait d’avaliser les choix que le phare de la démocratie mondiale a auparavant fait pour eux dans sa grande « sagesse »./N
Suite dans la seconde partie de l’entretien.
http://french.ruvr.ru/2014_11_12/Elections-a-Novorossia-entretien-avec-Fabrice-Beaur-observateur-francais-Partie-1-5433/
Mikhail Gamandiy-Egorov