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Arraisonnement d’un chalutier russe au Sénégal : guerre économique et géopolitique déclarée ?

Arraisonnement d’un chalutier russe au Sénégal : guerre économique et géopolitique déclarée ?

Le 4 janvier dernier, le navire de pêche russe Oleg Naydenov ainsi que tout son équipage ont été arraisonnés au port de Dakar, la capitale sénégalaise, par les forces armées de ce pays. A bord du navire, 62 citoyens russes et 23 ressortissants de la Guinée-Bissau.

Selon les autorités sénégalaises, le motif de cette arrestation serait lié au fait que le navire de pêche russe aurait pêché illégalement dans les eaux du Sénégal. La partie russe dément et affirme s’être trouvée au moment des faits dans les eaux territoriales de la Guinée-Bissau, avec laquelle elle possède un accord de pêche. Mais quelles sont les véritables raisons de ce désagrément ?

La situation demeure confuse et les autorités sénégalaises n’ont toujours pas fourni de preuves qui justifieraient la mise en accusation du navire russe en ce qui concerne la pêche illégale. A Moscou, le chargé d’affaires sénégalais Mamadou Diagne (l’ambassadeur du Sénégal en Russie se trouvant lui en congé dans son pays jusqu’à fin janvier) a été convoqué par le ministère russe des Affaires étrangères. Le vice-ministre Mikhail Bogdanov a transmis au diplomate sénégalais l’exigence par la Russie de la « libération sans délai du chalutier Oleg Naydenov et de tout son équipage ». Ce message a également été transmis au ministre sénégalais des Affaires étrangères, Mankeur Ndiaye, via l’ambassadeur russe présent à Dakar.

Quant à l’Agence fédérale russe pour la pêche (Rosrybolovstvo), elle prépare plusieurs plaintes en justice contre l’action des autorités sénégalaises. D’autant plus qu’au moins quatre membres de l’équipage ont été blessés lors de l’attaque des forces sénégalaises, dont le capitaine du navire Vadim Mantorov. Jusqu’ici, aucun d’entre eux n’avait pu obtenir de soins médicaux. Aucun membre de l’équipage ne peut d’ailleurs quitter le navire.

Le tout est d’autant plus complexe que vraisemblablement, plusieurs forces externes jouent leurs jeux. En effet et mis à part les parties sénégalaise et russe, on entend beaucoup figurer le nom de l’organisation Greenpeace, qui ne serait pas étrangère à cet incident. L’organisation avait déjà tenté d’attaquer ledit navire auparavant et surtout Greenpeace ne peut vraisemblablement toujours pas pardonner à la Russie l’arrestation encore relativement récente de ses militants qui avaient alors attaqué une plate-forme pétrolière du géant gazier russe Gazprom dans l’Arctique. Bien que tous les activistes de Greenpeace aient été amnistiés le 25 décembre dernier et que toutes les poursuites ont abandonnées par la justice russe, ladite organisation a clairement gardé une dent contre la Russie, peut-être même au-delà des raisons purement « écologiques ». Dans tous les cas, Greenpeace aurait effectivement fait pression sur les autorités sénégalaises afin d’éviter une résolution rapide et diplomatique entre le Sénégal et la Russie.

Parmi les autres acteurs mentionnés du côté russe et qui pourraient être impliqués dans le désagrément, on parle de l’Union européenne, dont particulièrement la France. D’ailleurs, un navire de guerre français est actuellement présent dans le port de Dakar. Coïncidence ? Ou politique logique du tristement célèbre système de la Françafrique ? A ce propos, le chef de l’Agence fédérale russe pour la pêche, Andreï Kraïniy, n’a pas manqué de mentionner les différents acteurs mécontents du début du retour de la Russie sur le continent africain : « Il s’agit d’une guerre économique. Nous sommes des concurrents aux forces en présence. Notre présence n’est pas très appréciée, aussi bien par nos collègues de l’Union européenne que par ceux de la Chine. Pour moi, il s’agit bel et bien d’une bataille économique pour l’accès aux ressources par tous les moyens et toutes les méthodes. Nos concurrents ne sont pas ravis du fait que la Russie revienne activement en Afrique après notre disparition du continent qui a suivi l’éclatement de l’URSS ».Andreï Kraïniy est néanmoins resté optimiste quant à la résolution de cet incident et sur l’avenir en général.

A noter que le gouvernement de la Guinée-Bissau n’a pas manqué lui aussi de faire pression sur les autorités sénégalaises. Pour rappel, 23 membres du navire russe (sur les 85 au total) sont citoyens de cette république voisine du Sénégal. A la suite d’un conseil extraordinaire des ministres présidé par le premier-ministre du pays Rui Duarte de Barros, le gouvernement bissau-guinéen a pris ouvertement et officiellement fait et cause pour la Russie et a en outre accusé le Sénégal d’avoir« attenté à l’intégrité physique de ses ressortissants » travaillant avec leurs collègues russes. Dans le communiqué du conseil, on peut lire que « la Guinée-Bissau regrette profondément le passage à tabac de ses marins par les autorités sénégalaises et demande des explications immédiates à ces dernières ».Les autorités bissau-guinéennes ont également affirmé que le navire Oleg Naydenovse trouvait dans les eaux territoriales de leur pays et non pas dans celles du Sénégal et que le navire possédait une autorisation de pêche à cet effet.

Pour revenir au Sénégal, plusieurs chiffres sont avancés en qualité de réclamation au propriétaire du navire. Initialement, les différents médias avançaient le chiffre de 600 000 euros en qualité d’amende au propriétaire du chalutier, ainsi que la confiscation de sa cargaison. Désormais, on entend de plus en plus le chiffre de trois millions de dollars. L’armateur quant à lui ne se reconnait aucunement coupable et compte poursuivre l’action en justice.

Malgré le fait que les motifs de l’arraisonnement du navire russe par les militaires sénégalais restent bien obscurs et que les preuves que prétendent posséder les autorités sénégalaises ne sont toujours pas fournies, une chose néanmoins reste claire. Le retour (bien qu’encore assez timide) de la Russie en Afrique en fait trembler déjà plus d’un, à savoir tous les acteurs externes qui veulent à tout prix sauvegarder leur mainmise sur les ressources du riche continent africain. Mais plus la Russie formera une véritable stratégie effective pour l’Afrique et plus elle passera à l’action, plus ces acteurs externes auront du mal à l’arrêter, elle, ainsi que tous ceux qui sur le continent africain désirent cette étroite collaboration avec la Russie.

http://french.ruvr.ru/2014_01_13/Arraisonnement-d-un-chalutier-russe-au-Senegal-guerre-economique-et-geopolitique-declaree-6791/

Mikhail Gamandiy-Egorov