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La résistance du Mali se maintient et inspire

05.07.2022

La levée des sanctions économiques de la Cédéao à l’encontre du Mali ne doit certainement pas être vue comme la victoire d’un consensus ou comme le signe de bonne volonté de l’organisation régionale à l’encontre de Bamako. La réalité étant surtout que la résistance des autorités et de la population du pays a montré toute son efficacité, et étend son influence bien au-delà des frontières nationales.

Les dirigeants de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), réunis lors du 61ème sommet ordinaire à Accra, au Ghana, ont décidé de lever les sanctions économiques et financières adoptées contre le Mali depuis le mois de janvier de cette année.

Selon Maliweb, les dirigeants de l’organisation régionale étaient encore tout récemment divisés sur la question de levée des sanctions. Sans surprise, les principaux partisans quant au maintien des sanctions contre Bamako n’étaient que les présidents nigérien et ivoirien – Mohamed Bazoum et Alassane Ouattara. Sans surprise car étant aujourd’hui parmi les principaux représentants et défenseurs des intérêts françafricains, allant largement en sens inverse des aspirations de leurs propres populations, et plus généralement des peuples d’Afrique.

De son côté le Sénégal, dont le président Macky Sall est actuellement également à la tête de l’Union africaine (UA), semble avoir été l’un des principaux intéressés à mettre fin aux dites sanctions, y compris en raison de l’impact que cela avait sur les intérêts économiques et commerciaux sénégalais, mais également à l’heure où Dakar s’engage progressivement sur la voie de la multipolarité, n’hésitant pas à aller même jusqu’à critiquer sur la question de levée des sanctions, comme ce fut le cas lors de la récente visite du chef d’Etat du Sénégal à Sotchi.

Evidemment, durant ladite période des sanctions de la Cédéo, qui d’ailleurs selon nombreuses sources étaient au départ largement influencées par Paris et certaines autres capitales occidentales, le Mali a pu compter sur le soutien et la solidarité de plusieurs pays africains, sans oublier la Russie et la Chine – qui, n’avaient pas hésité à utiliser leur droit de véto au Conseil de sécurité de l’ONU pour bloquer le texte français qui cherchait à apporter un soutien international aux dites sanctions.

Mais très certainement le grand mérite à ce succès pour Bamako revient une fois de plus à la très large mobilisation populaire nationale, qui non seulement n’a pas hésité à apporter un soutien ferme aux autorités du pays, mais également a fait preuve d’une capacité de résistance aux pressions extérieures de manière digne et patriotique.

Aussi, il ne faut certainement pas oublier que le Mali après des années de chaos est devenu sous le leadership du colonel Assimi Goïta et de son équipe – une grande source d’inspiration pour nombreuses autres nations africaines et un exemple d’une résistance efficace au néocolonialisme occidental nostalgique de l’unipolarité.

De manière générale, les événements en cours démontrent parfaitement que les sanctions – l’un des instruments favoris de l’establishment occidental et de ses supplétifs – non seulement n’apporte pas le résultat escompté pour ses instigateurs, mais au contraire pousse les nations dignes à accroitre les efforts en vue de contrebalancer les difficultés que lesdits instigateurs cherchaient à créer pour les pays sanctionnés.

Quant aux autres leaders africains, qui ne peuvent pas, pour nombreux d’entre eux se vanter d’une popularité comparable à Assimi Goïta sur les scènes nationale et continentale, plusieurs néanmoins comprennent que face aux événements en cours, il est plus que jamais temps de se mettre à jour des nouvelles réalités planétaires.

En ce qui concerne ceux ayant fait le ferme choix de rester aux côtés de l’establishment occidental jusqu’au bout, au-delà de poursuivre leur propre marginalisation et isolation dans une Afrique qui choisit de plus en plus ouvertement la voie du panafricanisme et d’un libre choix de ses partenaires extérieurs – leur avenir n’a rien de prometteur. Et le fait de se réfugier dans la bulle pro-occidentale en espérant que cela leur évitera d’être balayé par les mobilisations populaires de masse semble être une erreur stratégique de personnages faisant mine, à l’instar de leurs parrains, de ne pas comprendre l’ordre international multipolaire. Et ce qu’il deviendra.

Mikhail Gamandiy-Egorov

http://www.observateurcontinental.fr/?module=articles&action=view&id=4025

La déformation occidentale des faits face à la possible crise alimentaire

07.06.2022

L’establishment politico-médiatique occidental tente par tous les moyens d’annoncer l’éventuelle crise alimentaire internationale comme étant la responsabilité de la Russie, en oubliant par la même occasion de présenter les statistiques et faits réels. Et surtout ses propres responsabilités.

Tout d’abord, il serait correct de rappeler quelques statistiques fondamentales que nombre de politiciens et de médias occidentaux avaient préféré occulter. Dans l’imaginaire occidental, il est même tenté de créer une image d’une Ukraine comme d’un grenier mondial, et dont l’opération militaire spéciale de la Russie serait en train de «détruire». A ce titre, les faits parlent d’eux-mêmes et s’il y a bien un grenier mondial – c’est bien l’Etat russe.

En effet, la Russie est le premier exportateur mondial de blé, tandis que l’Ukraine n’est que cinquième. Et ce depuis déjà plusieurs années. Donc les tentatives de coller l’Ukraine à la Russie en qualité de grenier mondial par la partie occidentale est déjà incohérente ne serait-ce que du point de vue qu’on ajoute à cet effet le cinquième exportateur mondial au premier, pour tenter par la même occasion de créer une image d’une Ukraine «irremplaçable» sur le marché alimentaire international.

En se basant sur cette logique et suivant le même schéma, il est parfaitement possible aussi de coller le 8ème, 9ème ou 10ème exportateur mondial au premier, et le volume représenté sera conséquent. Tout cela pour dire que s’il y a bien un pays dont dépend énormément la sécurité alimentaire à l’échelle internationale – il s’agit bien de la Russie, et non pas tellement de l’Ukraine.

Idem pour ce qui est des engrais – autre orientation essentielle pour la production agricole à divers endroits de la planète. Les statistiques pour l’année 2021 parlent d’elles-mêmes: la Russie était et reste le principal exportateur mondial d’engrais. Tandis qu’un pays comme l’Ukraine n’était classé que 25ème.

S’il y a bien en revanche un domaine dans lequel l’Ukraine partage effectivement les deux premières places mondiales avec la Russie en volume de production – il s’agit de l’huile de tournesol. Bien qu’il soit important de rappeler que les pays dits comme particulièrement concernés par la possible crise alimentaire mondiale ont beaucoup plus besoin des céréales russes que de l’huile de tournesol ukrainienne. Sachant que nombreux de ces pays consomment principalement l’huile de palme et non de tournesol.

Aussi, l’establishment occidental qui accuse la Russie d’être responsable de la situation oublie deux points essentiels: le premier étant les sanctions occidentales qui visent la Russie et qui ont eu un impact sur les chaines logistiques d’approvisionnement. En ce qui concerne plus particulièrement les exportations ukrainiennes – les représentants russes ont maintes fois rappelé que le blocage ne se fait pas au niveau de la Russie, mais au fait que le régime kiévien a installé des mines marines au niveau des principaux ports maritimes concernés – empêchant les navires de pouvoir circuler en sécurité avec les marchandises.

Macky Sall, le chef d’Etat sénégalais et président en exercice de l’Union africaine (UA) lors de sa récente rencontre à Sotchi avec Vladimir Poutine, avait justement de son côté critiqué les sanctions occidentales et rappelé que l’accès aux céréales et engrais russes avait une importance primordiale pour les pays africains. Un échange dont Macky Sall est sorti largement rassuré et satisfait, au moment où la Russie travaille activement pour pouvoir assurer ses livraisons des dits produits à destination des pays amis, dont bien évidemment ceux d’Afrique.

Il est donc évident que ceux qui créent des obstacles aux exportations alimentaires et affiliées en provenance de Russie – ne peuvent certainement pas jouer aux bonnes âmes qui se soucient de la sécurité alimentaire mondiale. Mais peut-être que prétendant s’intéresser à ce problème des «autres», l’Occident cherche avant tout à pouvoir assurer sa propre sécurité alimentaire? Notamment dans le domaine des engrais. Car au-delà de la dépendance énergétique de l’UE totalement évidente, la Russie fournit par la même occasion 25% de l’approvisionnement européen en azote, potasse et phosphate.

Pour l’anecdote, faudrait-il rappeler qu’il y a encore de cela plusieurs années – les engrais russes étaient revendus pour les clients africains à travers des intermédiaires occidentaux? Cette page, fort heureusement, semble définitivement être tournée. Les pays non-occidentaux, y compris africains, ont pour grand nombre d’entre eux parfaitement compris la nécessité de maintenir les relations mutuellement bénéfiques avec la Russie. Quant à la sécurité alimentaire des pays occidentaux – il est évidemment peu probable que l’arrogance de leur establishment pourra d’une quelconque manière apporter des solutions dignes de ce nom. Y compris pour les citoyens européens.

Mikhail Gamandiy-Egorov

Le fossé croissant entre l’Afrique et l’Occident

23.05.2022

Les tentatives occidentales incessantes de tenter à vouloir dicter l’avenir aux pays africains continuent de donner bien souvent l’inverse du résultat escompté. Si les divorces ont été déjà engagés, ou en voie de l’être, entre l’Occident et plusieurs leaderships africains – dans le cas de la société civile le stade supérieur de la rupture semble déjà avoir été atteint.

Alors qu’un sommet extraordinaire de l’Union africaine (UA) aura lieu les 25 et 26 mai prochains, qui sera consacré à la lutte contre le terrorisme et aux changements anticonstitutionnels en Afrique, et que les USA souhaitent adopter une nouvelle loi visant à surveiller et combattre la présence russe sur le continent, les perspectives occidentales continueront vraisemblablement dans le sens de la dérive et de la chute.

En ce qui concerne les prétendus changements «anticonstitutionnels», au-delà d’une interprétation très particulière du côté occidental et de ses acolytes y compris en Afrique, selon si cela se déroule sur le continent africain, ou… par exemple dans un certain pays d’Europe de l’Est, le fait est qu’il est admis que c’est aujourd’hui un sujet cher aux élites occidentales, ainsi qu’aux sous-traitants locaux. Le cas du Mali fait effectivement aujourd’hui trembler les bureaux des capitales occidentales et de certains pays africains.

Des militaires patriotes à l’écoute des aspirations populaires de masse, le tout dans une vision panafricaine et pro-multipolaire – représentent effectivement un mélange que les Occidentaux veulent absolument éviter – car le cas malien aura déjà démontré que les valeurs de la vraie dignité ne sont pas achetables. Les pressions, intimidations et sanctions en tout genre – n’auront pas aidé non plus les objectifs des gouvernements occidentaux et africains soumis à la volonté occidentale.

En parlant justement des pressions et sanctions, Washington semble désormais vouloir passer à l’étape supérieure aux côtés de ses supplétifs européens, dont la France, le tout en vue de vouloir punir les leaders et gouvernements africains qui collaboreraient avec «le mauvais partenaire». Evidemment pas très démocratique tout cela, purement dictatorial, mais si propre à ce que l’Occident – surtout à la vue des événements récents – représente réellement.

Le souci pour de telles initiatives c’est qu’en sanctionnant des leaders et gouvernements africains – largement populaires auprès des populations d’appartenance et très souvent même au-delà des frontières des pays en question – l’establishment atlantiste aura alors à faire face à des dizaines et même des centaines de millions de citoyens du continent – déjà pour de nombreux d’entre eux fort hostiles aux schémas et politiques de l’Occident.

Dans un récent sondage mené sur la page Telegram de la chaîne Afrique Média – la télévision panafricaine – à la question posée : qui représente une menace pour la sécurité de l’Afrique – 89% des personnes ont répondu que c’est l’Occident. Par ailleurs, dans un autre sondage toujours en cours, à la question «lequel des leaders africains vous inspire le plus», le colonel Assimi Goïta – président du Mali est pour le moment largement en tête avec 86% des votes… Très révélateur des sentiments régnants et observés depuis de longues années sur le grand continent africain.

Face à cette réalité, la politique arrogante et irresponsable des nostalgiques de l’unipolarité risque non seulement de faire perdre, à terme, à l’Occident l’accès aux matières premières dont on connait désormais, et plus que jamais, l’énorme besoin. Et de l’autre pousser les populations africaines, et notamment la jeunesse, à fermer définitivement la porte à tout dialogue ultérieur.

Certains observateurs en Afrique se demandent d’ailleurs s’il s’agit d’un problème de capacités intellectuelles chez les décideurs occidentaux. En partie certainement. Mais le principal étant un problème vraisemblablement génétique au niveau de ceux qui dirigent l’Occident – transmettant de génération en génération l’idée qu’ils possèdent le droit de vie et de mort sur l’écrasante majorité de la population terrestre, et qui n’est autre que la population non-occidentale.

Et si nombreux dans le camp atlantiste pensent que cette arrogance héréditaire leur permettra de limiter les dégâts et les casses, la réalité démontre plutôt qu’ils ne font, eux-mêmes, qu’accélérer leur chute. En ce sens, cela arrange parfaitement les objectifs des panafricanistes et des partisans de l’ère multipolaire actuelle.

Mikhail Gamandiy-Egorov

http://www.observateurcontinental.fr/?module=articles&action=view&id=3884

L’Ethiopie s’éloigne de plus en plus de l’Occident

Choix stratégiques des autorités éthiopiennes, accords avec la Chine et la Russie et une opinion publique du pays de plus en plus hostile vis-à-vis de l’establishment occidental constituent des éléments qui laissent entrevoir une nouvelle défaite géopolitique de l’Occident dans un pays africain stratégique.

De nombreux partisans du gouvernement éthiopien se sont rassemblés pour dénoncer une ingérence occidentale dans les affaires de leur pays. Les messages hostiles, notamment à l’encontre de Washington, sont loin d’être d’ailleurs les premiers de la part de la société civile éthiopienne. Cela sans oublier – les tournants stratégiques pris par Addis-Abeba, en direction de Pékin et de Moscou, pouvant être considérés comme une source supplémentaire de vive inquiétude pour l’establishment washingtonien et ses acolytes.

En effet et à l’heure où les Etats-Unis et certains de leurs fidèles alliés, dont le régime français, observent avec un mécontentement non-voilé l’interaction montant en puissance entre les Etats africains avec la Chine et de plus en plus de nouveau avec la Russie, l’Ethiopie représente justement un nouveau casse-tête pour les Occidentaux.

L’Etat éthiopien est stratégique en Afrique pour bien de raisons. Deuxième plus large population du continent avec près de 110 millions d’habitants, la seule nation africaine à n’avoir jamais été colonisée, ayant été un allié africain stratégique de l’URSS durant la période de guerre froide, et que l’Occident pensait avoir mis dans son orbite d’influence à la chute de l’Union soviétique. Vraisemblablement à tort. Sans oublier que le siège de l’Union africaine (UA) se trouve justement à Addis-Abeba.

Le leader actuel de l’Ethiopie, en la personne d’Abiy Ahmed, mérite également une mention spéciale. Lauréat du prix Nobel de la paix 2019, notamment pour ses actions ayant conduit à la résolution du conflit avec l’Erythrée voisine, il a été pendant un certain moment plutôt adulé dans une partie de la presse occidentale, du moment que les relations entre Addis-Abeba et les capitales occidentales restaient relativement au beau fixe. Mais les choix stratégiques sélectionnés de plus en plus en faveur de la Chine – très présente en Ethiopie sur le plan économique et dans le secteur des infrastructures – ainsi qu’en direction de l’ancien allié russe – notamment sur le plan sécuritaire – sont des éléments ayant rapidement transformé le chef d’Etat éthiopien en une cible d’attaques émanant de l’Occident. Aussi bien politiques, que médiatiques.

Mais le grand souci, une fois encore, pour l’establishment occidental – c’est qu’Abiy Ahmed continue de jouir d’une popularité réellement importante auprès de la population de son pays – un pays pour rappel qui n’a pas connu la colonisation occidentale et dont la population voit très mal toute tentative d’interférence dans ses affaires intérieures. Comme c’est actuellement le cas avec l’opération sécuritaire menée par l’armée gouvernementale dans la région de Tigré.

Et les récentes mobilisations massives des citoyens éthiopiens en faveur du gouvernement, avec en prime des messages hostiles visant la politique occidentale et plus particulièrement washingtonienne, ainsi que des appels à renforcer l’alliance avec Pékin et Moscou, ne font que rajouter un peu plus d’intensité à l’hystérie occidentale.

Le mois dernier, l’Ethiopie avait d’ailleurs annoncé la signature de plusieurs accords avec la Russie en vue de renforcer la coopération militaire entre les deux pays. La ministre éthiopienne de la Défense, Martha Lewig, avait souligné que ledit accord «renforcera l’amitié de longue date établie entre l’Ethiopie et la Russie et leur permettra de poursuivre le travail en commun qu’ils mènent de manière plus étroite encore».

Avant cela, en mars dernier, la Chine et la Russie avaient bloqué une déclaration promue par le bloc occidental au sein de Conseil de sécurité de l’ONU visant l’opération éthiopienne dans sa région de Tigré. Accordant ainsi un soutien diplomatique de poids à Addis-Abeba.

Quant à l’Ethiopie elle-même et au-delà du soutien sino-russe et de plusieurs pays africains, la mobilisation populaire représente vraisemblablement encore une fois la meilleure réponse aux tentatives d’ingérence étasunienne et plus généralement occidentale dans ses affaires souveraines. Et face à cette mobilisation – les instruments de déstabilisation habituels allant des campagnes médiatiques du mainstream jusqu’aux cellules Soros – ne semblent pas être en mesure de pouvoir bouleverser la donne en faveur des intérêts néocolonialistes de l’establishment occidental, se référant encore à un ordre révolu et dépassé par les événements.

Mikhail Gamandiy-Egorov

http://www.observateurcontinental.fr/?module=articles&action=view&id=2979

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Toussaint Alain : « L’Afrique s’impatiente de voir Gbagbo libre ! » (Partie 2)

Suite de la première partie.

La Voix de la Russie : Les charges contre le président Laurent Gbagbo n’ont pas été confirmées par la CPI. Malgré cela, M. Gbagbo est toujours emprisonné, le temps que le procureur puisse trouver « des éléments de preuves additionnels », comme l’ont demandé les juges de la Cour. Comment jugez-vous cette situation ?

Toussaint Alain : Croyez-vous sincèrement qu’il pouvait en être autrement ? Nous sommes devant une situation inédite : un tribunal reconnaît qu’il n’a pas de d’éléments suffisants mais il s’obstine tout de même à maintenir en détention un inculpé. C’est époustouflant comme procédé ! On l’aura compris : la mission de la CPI n’est pas de dire le droit mais de condamner coûte que coûte. Or, Laurent Gbagbo est présumé innocent. Avec tous les moyens dont disposent le procureur et ses enquêteurs, la CPI n’a pas été en mesure de fournir la moindre preuve inattaquable. Que cette comédie inhumaine cesse ! Le président Gbagbo doit être remis en liberté.

LVdlR : On évoque une possible mise en liberté provisoire de Laurent Gbagbo. La demande a été introduite à plusieurs reprises par la défense. Qu’en est-il ?

Toussaint Alain : Oui, j’ai entendu beaucoup de déclarations à ce sujet. Je ne vais en rajouter à la spéculation. Sachez que la Côte d’Ivoire et l’Afrique s’impatientent de voir Laurent Gbagbo libre. Pas seulement en liberté provisoire mais en liberté pleine et définitive tout simplement. La CPI dessert la cause de la justice mondiale en maintenant un innocent en détention alors que les charges s’effondrent les unes après les autres comme un château de cartes. L’incarcération de Laurent Gbagbo est un non-sens. On ne peut pas emprisonner quelqu’un par convenance ou par pur calcul politique. Gbagbo est innocent. Sa libération revêt un enjeu de paix et de stabilité pour la Côte d’Ivoire, où le naufrage du processus de réconciliation saute aux yeux. Les Ivoiriens ont envie d’être de nouveau ensemble, de cohabiter pacifiquement. Après la politique, il y a la vie de tous les jours. Libre, Gbagbo peut être un puissant accélérateur de la cohésion sociale et un facilitateur de la confiance retrouvée entre ses compatriotes. Ni la CPI ni le Conseil de sécurité de l’ONU ne peuvent ignorer cette dimension de l’affaire.

LVdlR : Quelles sont les dernières avancées notoires dans la situation politique en Côte d’Ivoire ?

Toussaint Alain : M. Ouattara a récemment fait quelques gestes en remettant en liberté plusieurs personnalités proches du président Gbagbo. Il reste encore au moins 800 prisonniers politiques, toujours détenus sans jugement. Parmi eux, Simone Gbagbo et Charles Blé Goudé, lequel reste privé de l’assistance de ses avocats. La détention au secret ou la torture physique ou psychologique n’ont jamais fait avancer la cause de la vérité. Sur le plan politique, on a pu observer aussi que le Front populaire ivoirien (FPI, parti du président Gbagbo – Ndlr) a repris du poil de la bête avec le retour aux affaires de Pascal Affi N’Guessan, son président. Les lignes bougent puisque l’opposition peut de nouveau tenir des réunions publiques. Mais tout cela reste précaire et conditionné à l’humeur des autorités actuelles. Or, il y a nécessité d’instaurer un climat de confiance durable entre le pouvoir et l’opposition afin d’éviter de nouvelles crises. Cela passe également par la levée des mandats d’arrêt internationaux contre des anciens dignitaires et le dégel des comptes bancaires de plusieurs centaines de personnalités proches du président Gbagbo ou ayant servi l’Etat sous sa gouvernance.

LVdlR : Le régime d’Alassane Ouattara devient-il plus conciliant avec l’opposition à l’approche de l’élection présidentielle de 2015 ?

Toussaint Alain : Le gouvernement ne perd rien à ouvrir un vrai dialogue politique avec l’opposition. Bien au contraire. Effectivement, tout le monde songe déjà à la présidentielle de 2015. Mais il y a des sujets cruciaux qu’il faut absolument régler afin de mieux aborder cette échéance. L’objectif étant de garantir la paix et la sécurité.

D’abord, l’épineuse question du désarmement des ex-combattants de M. Ouattara : au moins 65 000 soldats en armes. Ils constituent une vraie source d’inquiétude et d’insécurité tant pour le pouvoir que pour les populations. Ensuite, il y a l’indispensable recomposition de la Commission électorale indépendante (CEI) dont la mission a officiellement pris fin, selon les accords de paix inter-ivoiriens, depuis les dernières élections locales d’avril 2013. Enfin, la révision de la liste électorale et l’inscription de plusieurs millions de nouveaux majeurs sur les listings. L’élection de 2015 reste ouverte. A mi-mandat, la grogne sociale est forte car M. Ouattara n’a tenu aucune de ses promesses électorales : un million d’emplois, les soins gratuits, cinq nouvelles universités, des milliers de nouvelles écoles, des points d’adduction d’eau potable dans tous les villages du pays, etc. Le chômage a atteint un niveau endémique. L’économie tourne au ralenti. Une note interne d’une célèbre institution de Bretton Woods a récemment tiré la sonnette d’alarme sur la gestion de M. Ouattara. La Côte d’Ivoire, qui a un programme avec le Fonds monétaire international (FMI), continue de s’endetter clandestinement auprès de régimes amis pour sauver les apparences. Les créanciers du pays sont eux aussi irrités par les pratiques peu orthodoxes de ce pouvoir incompétent. Et le mois de décembre s’annonce difficile sur le plan budgétaire. Or, les caisses de l’Etat sont désespérément vides. Face à ce triste tableau, le régime n’aura pas d’autre alternative que la fraude industrielle pour tenter de se maintenir au pouvoir. Je ne doute pas que les Ivoiriens veilleront à ce que M. Ouattara ne leur vole pas la victoire une nouvelle fois.

 LVdlR : M. Toussaint Alain, je vous remercie. Très bonne continuation à vous !

Toussaint Alain : Merci à La Voix de la Russie de m’avoir donné la parole. Je voudrais exprimer ma sincère gratitude aux autorités politiques de votre pays pour leur position courageuse sur la CPI et pour tout ce qu’elles entreprennent pour la recherche de la vérité. Merci et à très bientôt à Moscou.

http://french.ruvr.ru/2013_10_29/Toussaint-Alain-L-Afrique-s-impatiente-de-voir-Gbagbo-libre-Partie-2-0022/

Mikhail Gamandiy-Egorov

 

 

Côte d’Ivoire et CPI : entretien avec Toussaint Alain (Partie 1)

Côte d'Ivoire et CPI : entretien avec Toussaint Alain (Partie 1)

Nous avons le privilège aujourd’hui de nous entretenir de nouveau avec M. Toussaint Alain, ancien conseiller, ex-porte-parole et représentant dans l’Union européenne (UE) du président Laurent Gbagbo – président de la République de Côte d’Ivoire de 2000 à 2011.

 M. Alain préside aujourd’hui le groupe de pression Côte d’Ivoire Coalition Inc., représenté dans plusieurs pays. Fin janvier, Toussaint Alain s’était déjà confié à La Voix de la Russie à l’issue d’une autre visite de travail à Moscou, où il avait été reçu en audience par des dirigeants politiques et des députés du Parlement russe, la Douma.

 La Voix de la Russie : Monsieur Alain, bonjour ! Nous avons appris la demande d’extradition vers la Cour pénale internationale (CPI) de Simone Gbagbo, l’épouse de M. Laurent Gbagbo. Une extradition qui a été refusée par le régime d’Alassane Ouattara…

 Toussaint Alain : C’est une décision sage. Mme Simone Gbagbo est innocente. C’est une femme politique importante, une intellectuelle de premier rang qui a fortement contribué à l’éveil démocratique en Côte d’Ivoire. La CPI ignore probablement qui elle est en réalité. M. Alassane Ouattara a aussi certainement voulu épargner son camp. Les chefs de guerre, qui forment aujourd’hui sa garde prétorienne, avec leur donneur d’ordre Guillaume Soro, sont impliqués dans de graves violations des droits de l’Homme depuis septembre 2002. Tout cela est connu. Toutefois, j’estime que M. Ouattara a eu raison de ne pas céder aux rêveries de la CPI qui croit devoir juger les Africains en lieu et place des tribunaux africains. La justice est un pilier essentiel de l’État de droit. Notre institution judiciaire compte en son sein des femmes et des hommes aguerris qui ne demandent qu’à travailler en toute indépendance, loin des pressions politiques. Simone Gbagbo a droit à un procès équitable en Côte d’Ivoire devant un tribunal indépendant et impartial. Elle pourra alors répondre à toutes les graves accusations portées contre sa personne. C’est le minimum qu’un pays indépendant depuis 1960 puisse garantir à une citoyenne. La CPI n’a aucun rôle à jouer dans cette affaire et dans toutes les autres, y compris celles impliquant des lieutenants de M. Ouattara : ces dossiers relèvent de la compétence exclusive des instances judiciaires ivoiriennes.

 LVdlR : Depuis le 1er octobre, la CPI a rendu public un mandat d’arrêt à l’encontre de Charles Blé Goudé, l’ex-ministre de la jeunesse du dernier gouvernement de Laurent Gbagbo. Comment interprétez-vous cette nouvelle procédure visant un pro-Gbagbo ?

 Toussaint Alain : C’est un grand classique : la CPI ne poursuit qu’un seul camp. Pourquoi rendre public seulement en octobre 2013 un mandat émis depuis décembre 2011 ? Compte tenu de la gravité des crimes allégués, elle aurait dû le faire immédiatement afin d’alerter l’opinion sur la « dangerosité » de ce jeune leader progressiste. Vous savez, plus personne ne prend au sérieux cette Cour. Une fois encore, la CPI fait montre d’une cécité affligeante. Ce nouveau mandat traduit une méconnaissance flagrante de l’histoire de la Côte d’Ivoire. C’est très inquiétant. Blé Goudé n’était pas un chef de milice ni un chef de guerre. C’est un patriote qui s’est engagé, avec son verbe pour seule arme, dans le combat politique. Durant dix ans, il a mobilisé des millions de compatriotes, éveillé des consciences et même sensibilisé à la paix auprès des populations après l’accord entre l’État ivoirien et la rébellion de MM. Ouattara et Soro. Si j’ai bien compris, le fait de revendiquer la liberté, la souveraineté et l’indépendance des peuples africains constitue un « crime contre l’humanité » pour la Cour. Tout comme la résistance face au néocolonialisme des Occidentaux désormais à la reconquête de l’Afrique. C’est pourtant cette même « humanité » que l’on extermine impunément à Duékoué, Guitrozon, Nahibly… lorsque des bandes armées se rendent coupables des pires atrocités. Ce double standard prouve bien que la CPI a un agenda politique et qu’elle est au service exclusif des plus puissants.

 LVdlR : Justement, la CPI est chargée de juger les auteurs présumés de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre…

 Toussaint Alain : La CPI s’est grandement dévaluée aux yeux des Africains et des dirigeants du continent. Comme en atteste la récente fronde à l’Union africaine (UA). Cette Cour sera crédible le jour où elle inculpera les chefs d’État occidentaux dont les armées assassinent des civils au nom de la démocratie ou de la lutte contre le terrorisme. Voyez ce qu’ont fait les présidents Bush, Obama, Chirac et Sarkozy en Afghanistan, Irak, Libye ou encore en Côte d’Ivoire. Des dizaines de milliers de personnes y ont été impunément massacrées dans le silence assourdissant des sempiternels donneurs de leçons. Qu’a fait la CPI ? Rien ! Elle préfère s’en prendre au Soudanais Omar el-Béchir, à l’Ivoirien Laurent Gbagbo ou au Congolais Jean-Pierre Bemba plutôt qu’aux chefs de l’OTAN. Sincèrement, l’épithète « internationale » dans la dénomination de cette Cour est une imposture : le mot « indigène » eût été mieux indiqué ! Que la CPI laisse nos instances judiciaires nationales gérer ces situations. La Côte d’Ivoire dispose des instruments juridiques et des ressources humaines pour juger Blé Goudé ainsi que tous les autres sur son territoire. Ces procédures doivent aussi avoir une vocation pédagogique. La vérité doit être connue afin d’édifier les générations futures. Transférer Blé Goudé à la CPI ou le juger au pays, voilà un autre dilemme pour le pouvoir. J’ai foi que M. Ouattara et son gouvernement n’extraderont pas Blé Goudé. L’Afrique en a assez de livrer ses enfants à cet Occident ingrat et égoïste.

Suite dans la seconde partie de l’entretien

http://french.ruvr.ru/2013_10_25/Cote-dIvoire-et-CPI-entretien-avec-Toussaint-Alain-Partie-1-5007/

Mikhail Gamandiy-Egorov